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23 juin
AELRED DE RIELVAUX
SAMSON ET DALILA
Grâces te soient rendues, ô bon Jésus, "tu as rompu mes liens". Certes, ils étaient miens, ces liens qui étaient tiens : ce n'était pas toi, mais moi qui étais enchaîné par eux, humilié, vaincu. Mais pourquoi est-ce toi, mon Seigneur, mon Samson, mon Soleil, ma Lumière, qui fut fait prisonnier, lié, vaincu ? Assurément tu t'es endormi sur le sein de Dalila, la courtisane ! Ô Amour, tu brûles si merveilleusement que tu abandonnes ta grandeur, affaiblis ta puissance, anéantis ta majesté ! Et pourquoi tout cela ? Pour se donner une épouse "sans tache ni ride, ni rien de tel", à la place de cette pauvre courtisane.
Dalila c'est l'âme humaine, si prompte à se prostituer à des dieux multiples comme à autant d'amants ! Oh courtisane, que rendras-tu à ton Seigneur pour tout ce dont il t'a comblée ? De fait, il s'est endormi sur ton sein. Ne te semblait-il pas dormir, lorsque, comme inconscient et insensible en raison de son amour, sa force, sa si grande puissance supportait tant d'outrages ! "J'ai été livré, dit-il, et je n'échapperai pas". La divi-nité était donc cachée au-dedans, alors qu'au-dehors la charité supportait tout cela.
"Les Philistins sont sur toi, Samson !". Ce qui tient Samson, ce qui le lie, ces liens qu'il ne rompt pas comme il le faisait auparavant, ce ne sont pas ceux de la faiblesse, mais ceux de l'amour ; ce ne sont pas ceux de la puissance de l'ennemi, mais ceux de sa charité.
Au Samson de jadis, on crève les yeux ; à celui-ci, on les voile. Celui-là est envoyé tourner une roue, pour figurer le tour que l'on fit faire à celui-ci : d'abord chez Anne, et de là chez Caïphe, puis chez Pilate, ensuite chez Hérode, et de nouveau chez Pilate. Après quoi il est abandonné aux moqueries des soldats et ainsi crucifié par les impies. "Les Philistins sont sur toi, Samson !". "Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même ! Que le Christ, le Roi d'Israël, descende de la croix !". Non, Philistin, il n'en descendra pas. Il sup-portera cette mer large et immense, toutes tes persécutions, toutes tes moqueries, jusqu'à ce que toi, ô monstre qui a été formé pour être berné, tu engloutisses totalement Jonas pour qu'il t'éventre et vide ton ventre de sa méchanceté.
Il secouera les deux colonnes sur lesquelles repose tout l'édifice des Philistins pour que sa mort soit la leur, comme il est écrit : "Je serai ta mort, ô mort ; je serai ton aiguillon, enfer". Maintenant ses cheveux, qui étaient ses disciples, avaient repoussé, puisque Pierre, après son reniement, avait versé des larmes amères ; puisque le disciple que Jésus aimait, qui s'était d'abord enfui, était maintenant debout près de la croix, puisque le centurion et ceux qui étaient avec lui s'étaient écriés : "Vraiment cet homme est fils de Dieu", puisque le larron, sur la croix, l'avait proclamé Dieu et Roi. Et lui, il dit : "Que je périsse avec les Philistins", car il a le pouvoir "de donner sa vie et de la reprendre".
Certes, mon Jésus est mort sur la croix, mais par sa mort, notre mort est détruite et la vie restaurée par sa résurrection. Le grand monstre marin a vomi Jonas le troisième jour, et par la puissance de sa résurrection, il est contraint de rendre tout ce qu'il avait englouti à mauvais droit. "Où est, Mort, ta victoire ?" Satan où est ta méchanceté ? Assurément, on s'est joué de toi, ton astuce a été percée à jour, ta méchanceté vaincue. Car la Sagesse triomphe de la méchanceté.
Sermons inédits : pour le jour de Pâques (p. 98 100)