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17 mars
Demeurer dans l’inspiration de l’humilité
Evoquons la dimension d’humilité de la vie chrétienne et monastique en nous concentrant sur les citations évangéliques du chapitre 7 de RB.
La première chronologiquement n’est pas la moindre :
« Qui s’élève sera abaissé, et qui s’abaisse sera exalté » (7, 1). Cette expression revient trois fois dans l’Evangile en des contextes assez différents, mais avec un point commun que l’on pourra reconnaître comme un des axes principaux de ce chapitre 7 :
En Lc 14, 11 : il s’agit là des rapports sociaux ordinaires. La parabole invite à prendre la dernière place lorsqu’on est invité à un repas.
En Mt 23, 12 : il est question des rapports religieux où le « chef » doit se considérer et se comporter comme un serviteur.
En Lc 18, 14 : nous sommes là avec le pharisien et le publicain dans les rapports personnels avec Dieu, dans le secret de la prière où il convient de se reconnaître pécheur.
Dans les trois cas, il y a retournement de situation, les derniers aux yeux du regard extérieur sont les premiers aux yeux du cœur.
Dieu, ne regarde pas les apparences, il regarde le cœur. Le cœur doit être purifié pour que les œuvres soient selon Dieu. Le publicain de la parabole va devenir le modèle du moine accompli. En effet, au douzième degré d’humilité, nous le retrouvons : « A l’œuvre de Dieu, à l’oratoire, dans le monastère, au jardin, en chemin, aux champs, qu’il soit assis, en marche ou debout, il aura toujours la tête inclinée, les yeux baissés : …. Il répétera dans son cœur ce que le publicain de l’Evangile disait, les yeux fixés, à terre : « Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever les yeux vers le ciel » (RB 7, 63-65).
Il s’agit donc de ne pas s’exalter soi-même, de son propre mouvement, car ainsi la chute est inévitable et a pour conséquence, cette humiliation redoutable de l’homme tombé, cette déchéance est proprement le péché (peccare signifie tomber) ; mais au contraire, loin de subir l’humilité, de la choisir et de connaître ainsi la joie de Dieu qui nous élève jusqu’à lui.
Pourquoi un chemin aussi évident n’est il pas choisi par tous ? Il est tout de même beaucoup plus facile de se tenir à sa place que de vouloir jouer un personnage de grandeur illusoire. C’est évidemment toute l’histoire du peuple de Dieu et de ses chefs de file et toute l’histoire de l’humanité.
Le premier degré d’humilité ne cite pas l’Evangile, mais il est comme un commentaire pratique de la citation préliminaire et l’assise de tout ce qui va suivre. Avec le douzième degré, ils forment un petit traité de vie spirituelle qui vaut par lui-même.
Il s’agit de vivre dans la présence réelle de Dieu et non pas dans la seule présence de soi-même ou des autres dans lesquelles on se regarde par comparaison. L’oubli de Dieu en ce monde est notre ennemi redoutable et le souvenir de Dieu n’est pas notre manière spontanée de réagir. C’est cela qu’il faut commencer par remettre en ordre. Le pharisien se fait plaisir en se glorifiant de sa pratique spirituelle, le publicain qui n’est pas très fier de lui, parle réellement à Dieu, il se tourne réellement vers lui, il n’a guère d’autre recours face à la vérité de toutes choses.
De cette prise de conscience, doit émaner une attitude de conversion, de retournement dans la vigilance, dans la garde du cœur et du corps.
Et dès ce premier degré, la perspective est vraiment eschatologique. Si l’on fait tout cela, c’est que l’enjeu n’est pas seulement pour cette vie visible. Les yeux du cœur nous font voir plus loin que les apparences de ce monde visible.
Toute cette perspective se résume dans l’expression « crainte du Seigneur » qui fait bien difficulté pour nos mentalités modernes, mais qui pourtant recouvre une réalité spirituelle tout à fait importante qui loin d’asservir, libère en permettant de vivre l’amitié et la filiation avec Dieu.
Le deuxième degré d’humilité concernant le renoncement à la volonté mauvaise reprend la citation de Jn 6, 38 « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé », déjà rencontré au chapitre 5 de RB. Nous n’y revenons pas. Elle est complétée au troisième degré (l’obéissance) par celle de Ph 2 : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort ». La perspective est claire et c’est le Christ qui seul, peut la vivre en nous.
Au 4ème degré nous sommes remis devant le véritable but de notre vie au monastère avec Mt 24, 13 : « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé » ; c’était déjà ce qu’annonçait le Prologue : « Persévérant jusqu’à la mort dans la pratique de sa doctrine au sein du monastère, participons par la patience aux souffrances du Christ et méritons d’avoir un place dans son royaume. Amen. ». Si nous devons tenir dans les épreuves liées à l’obéissance indéfectible à notre Père des cieux, c’est bien que nous sommes promis au Royaume. L’hypomoné n’est pas du masochisme, c’est un chemin pour toucher la vraie liberté du cœur et l’apatheia, la pacification. Cet humble là est en mesure comme le Christ de réaliser intelligemment la parole évangélique : « Si on les frappe sur une joue, ils tendent l’autre ; si on leur ôte leur tunique, ils abandonnent leur manteau ; si on les contraint à faire un mille, ils en font deux. » (Mt 5, 39-41). C’est bien là le martyr, le témoignage quotidien dans la sagesse du don total jusqu’à la fin, jusqu’au bout, sans se lasser, ni reculer malgré les obstacles qui se présentent sur la route, de l’extérieur et de l’intérieur.
Les bases sont ainsi posées, les autres degrés sont en quelque sorte des conséquences pratiques de cette attitude première. Des conséquences qui touchent toute la personne et qui visent à la rendre rayonnante de charité. Après tous les degrés d’humilité en effet, couronnés par celui du publicain de l’Evangile, « le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu qui, s’il est parfait, banni la crainte.
Alors, selon l’Evangile, que faut-il privilégié, la crainte ou la charité ? En fait, l’un ne va pas sans l’autre.
La crainte de Dieu bien comprise (conscience de la présence de Dieu, souvenir de Dieu, vigilance, ect.), est comme la toile de fond du comportement monastique. C’est elle qui permet d’une manière réaliste de vivre dans l’humilité évangélique pour toucher à la charité de Dieu.
C’est le Seigneur lui-même qui enseigne cette attitude juste à son égard : « Venez, mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur » (Ps 33 dans Prol.12). C’est le verset qui précède notre point de départ : « Courez, pendant que vous avez la lumière de cette vie de peur que les ténèbres de la mort ne vous saisissent » (Prol. 13).
L’Abbé lui-même doit montrer l’exemple, lui qui est invité à chercher d’abord le Royaume de Dieu et sa justice et à se livrer à la confiance pour ce qui est des ressources du monastère, car « Rien ne manque jamais à ceux qui craignent Dieu » (RB 2, 35). Plus que tous, il doit être conscients de la « discussio » qu’il devra avoir comme pasteur avec le Pasteur des brebis. (RB 2, 39). Lorsque les moines élisent l’Abbé, la qualité que leur demande saint Benoît pour lui, c’est la crainte de Dieu (cf. 64, 1). Et lorsqu’il s’agit de choisir un Prieur, l’Abbé doit le faire avec le Conseil des frères craignant Dieu (RB 65, 15). Comme l’Abbé, les moines doivent penser à ce moment de discernement dans lequel toute leur vie se trouvera comprise (cf. RB 4, 44-51, relire éventuellement cette section), même s’ils savent qu’il ne faut jamais désespérer de la miséricorde de Dieu (RB 4, 74).
Mais cette crainte, cette conscience de la présence de Dieu, doit se vivre au quotidien et saint Benoît ne manque pas d’y revenir à maintes reprises. Tout d’abord à l’office divin : nous en avons déjà parlé et de manière particulière en écoutant l’Evangile aux Vigiles : « L’abbé fera la lecture de l’Evangile, tous se tenant debout avec respect et crainte, et à la fin tous répondront Amen » (RB 11, 9).
D’autres responsables sont invités d’une manière privilégiée à être ainsi des hommes craignant Dieu : le cellérier (« craignant Dieu et qui soit comme un père pour toute la communauté » RB 31, 2) ; l’infirmier (« un frère craignant Dieu, diligent et soigneux » RB 36, 7) et l’hôtelier (« Quant au logement des hôtes, on en confiera la charge à un frère dont l’âme soit remplie de la crainte de Dieu » RB 53, 21). Le portier quant à lui, « lorsqu’on frappe à la porte du monastère ou qu’un pauvre fera entendre son appel s’empressera, dans toute la mansuétude que donne la crainte de Dieu, de répondre avec une charité fervente. » (RB 66, 3-4). Quatre fonctions donc en rapport étroit avec la charité.
En cette matière comme en beaucoup d’autres essentielles pour saint Benoît, c’est le chapitre 72 qui aura le dernier mot : « Amore Deum timeant » « Par amour qu’ils craignent Dieu » (RB 72, 9).
Voilà bien la position réaliste. Les moines ne doivent pas être des hommes ligotés par je ne sais quelle terreur morbide, ils ne doivent pas non plus se croire déjà parvenu : ils sont en marche dans la conscience sans cesse renouvelée que la justesse de leur comportement vient d’une saine appréhension de la présence aimante de Dieu à laquelle ils répondent aussi par un adsum (me voici) amoureux.
Si nous voulons bâtir la civilisation de l’amour, commençons donc par là, nous n’aurons pas que des amis bien sûr, mais nous avancerons sûrement sur le chemin de la justice et de la vérité.
3 mars
Ecologie et vie monastique
Littéralement l’écologie est le discours, la théorie ou les théories sur le bon usage, la bonne organisation que l’on peut avoir à l’intérieur de notre maison, en l’occurrence notre maison, c’est l’espace et le temps dans lesquels vivent les humains.
Ce discours doit déboucher sur des actes : littéralement, ceux-ci se nomment économie : c’est les lois que l’on se donne pour vivre bien ensemble dans cet espace et dans ce temps. Il est bien dommage que ce mot ait été réduit aujourd’hui à son seul usage financier. Il concerne vraiment tous les éléments de la vie humaine, sociale et même spirituelle. Il y a vraiment une manière économique de vivre ensemble et à titre personnel une saine écologie. Les moines sont tout à fait dans un tel état d’esprit.
Selon, la Règle de saint Benoît, leur priorité économique, c’est l’écoute pour un libre échange d’une parole utile parce que touchant aux fondements. C’est pourquoi, ils font silence autant qu’il est possible afin que les paroles échangées pèsent leur véritable poids. On pourrait dire que l’écoute essentielle tant de soi-même que des autres et aussi de cette voix mystérieuse qui nous précède et que l’on nomme Dieu est la base de toute écologie. Le fatras de la parole est certainement à l’origine de la toute première crise économique de la vie humaine. La parole est un bien reçu et rendu à la portée de tous. Il demande un grand désencombrement pour pouvoir peser de tout le poids de sa richesse.
Pour les moines, cette écoute se traduit dans une mise en œuvre de la parole échangée. Celle-ci peut générer une visée commune qui est le premier moteur économique. Cette visée commune porte le beau nom d’obéissance qui signifie « écouter sous » ; c’est une écoute mutuelle pour un projet commun.
Toute la vie d’une communauté monastique est sous ce régime d’une parole librement circulante comme un bien premier. Elle est à l’origine de nos institutions démocratiques par la pratique des chapitres conventuels avec la consultation de tous et les votes qu’elle implique. Les décisions sont régulées par un leadership attentif, prudent avec aussi l’élan de son propre charisme reconnu par ses pairs grâce au vote de la communauté qui l’a porté à la fonction de Père de la communauté, représentant une autre présence, celle du Christ, seul véritable higoumène, pasteur des Frères ou des Sœurs réunis en son nom.
De ce fait, tout dans le monastère est organisé en fonction de cette écologie humaine, tant pour la vie personnelle que pour la vie communautaire.
Tout au long de la journée, les moines se rendent attentifs au bien suprême de la Parole qui vient d’en-haut. Ils se réunissent 7 fois par jour pour la prière. Ils se remettent en présence de la source active à laquelle il veut se connecter en premier lieu et ils lui répondent en chantant abondamment tant pour exprimer la louange du don de la création et de la vie que pour lancer le cri de détresse d’une humanité souvent éprouvée sur le chemin de ce monde.
Ils aménagent leurs espaces de manière à ce que chaque détail ait toute sa valeur. La Règle de saint Benoît demande à l’économe du monastère de veiller à ce que l’on traite toutes choses dans le monastère avec le même soin que les vases sacrés de l’autel.
Espaces de verdure, espaces potagers, vergers, forêts ou terrains agricoles : tout devient dans le monastère, espaces de contemplation. Je pourrai décliner ici de nombreux exemples de cette mise en œuvre qui bien souvent a fait la gloire de nombreux établissements monastiques. Beaucoup de monastères aujourd’hui sont soucieux de préserver l’espace avec les règles élémentaires sur lesquelles la mouvance écologique attire notre attention.
Le rapport au temps partagé est également vécu dans une saine économie, même si aujourd’hui, l’institution monastique, au moins en Occident, est taraudée par les mêmes impératifs de productivité que la société ambiante. Cependant, l’équilibre qui voudrait être vécu entre prière, travail et vie fraternelle gratuite reste une règle majeure qui doit être à tout prix préservée pour une bonne économie sociale. Pour se faire, les monastères s’appuient sur le potentiel de l’extraordinaire réseau de solidarité que constituent le grand nombre de communautés répartis dans le monde. On pourrait dire de la vie monastique qu’elle développe l’idéal écologique d’une mondialisation fraternelle.
La nourriture est également pour les moines un lieu économique de grande portée. Manger pour eux implique toujours la reconnaissance d’un don reçu et partagé. Manger sobrement sans excès ni gaspillage est une règle sur laquelle saint Benoît insiste. Les plats seront suffisants, sains et équilibrés pour permettre une croissance heureuse et un bon déploiement du reste des activités. S’il est un lieu symbolique d’un bon équilibre de vie, c’est bien celui de la consommation et notamment en ce qui concerne la nourriture. Les communautés monastiques tentent vraiment d’avoir une bonne réflexion à ce sujet même lorsqu’ils sont obligés de recourir à des services extérieurs.
Le confort de la vie ordinaire se limite à ce qui est nécessaire. On donne à chacun ce dont il a effectivement besoin. Tout est mis en commun pour une économie solidaire au niveau local ou plus largement, entre monastères. Cela décuple les possibilités des communautés en matière d’élaboration de projets du fait de l’économie pratiqués sur les usages courants tels que le parc automobile, le matériel de buanderie, les instruments de communication, les énergies électrique ou de chauffage : autant de domaines d’ailleurs où les moines et les moniales profitent des conseils actuels en matière écologique.
En accueillant des hôtes pour des séjours de silence ou de retraite les centres monastiques se présentent à l’intérieur de nos sociétés comme des oasis où l’on peut tenter de mieux respirer, de mieux partager, de moins posséder illusoirement pour être davantage soi-même en relation avec autrui. Il est étonnant dans la règle de saint Benoît de constater que le chapitre le plus écologique est celui qui concerne l’économe du monastère :
« Pour cellérier du monastère, on choisira parmi les frères quelqu'un qui soit judicieux, sérieux, sobre, frugal, ni arrogant, ni agité, ni blessant, ni trop hésitant, ni trop prompt à la dépense, mais qui ait le sens de la présence de Dieu toujours et partout, et qui soit comme un père pour toute la communauté.
Qu'il prenne soin de tout, qu'il ne mécontente pas les frères. Si quelque frère lui fait une demande déraisonnable, il ne l'indisposera pas en le rebutant ; mais qu'il refuse avec raison et humilité à celui qui demande mal à propos. Qu'il veille à la garde de lui-même….
Qu'il prenne un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres…
Qu'il considère tous les objets et tous les biens du monastère comme s'il s'agissait des objets sacrés de l'autel. Qu'il ne tienne rien pour négligeable. Qu'il ne soit ni enclin à l'avarice, ni à l’excès des dépenses ; qu'il ne dilapide pas les biens du monastère, mais qu'il fasse toute chose avec mesure avec un grand sens du bien commun. » (RB 31)
Si effectivement, l’économe du monastère à une telle attitude écologique pour un sain développement humain et sociale, alors on peut l’espérer, toute la communauté saura rayonner d’un même idéal spirituel.
(fr. Jean-Pierre)
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