Méditer sept jours avec l’évangile du dimanche :
évangile de fête de la divine miséricorde
(Jn 20,19-31)
Méditation du dimanche : Présentation du texte de l’évangile
En ce deuxième dimanche de Pâques, fête de la miséricorde divine, la liturgie nous propose chaque année la lecture d’un passage de l’évangile de saint Jean où est notamment rapportée l’apparition, huit jours après Pâques, de Jésus aux disciples en présence de Thomas absent lors de la première apparition de Jésus aux disciples, le soir de Pâques. Le texte qui nous est proposé ne contient toutefois pas seulement le récit de cette seconde apparition aux disciples huit jours après Pâques, mais aussi celui de la première apparition le soir de Pâques ainsi que la première conclusion de l’évangile selon saint Jean. L’ensemble peut paraître quelque peu hétérogène puisque nous avons une longue section narrative (v 19 à 28) et une brève section discursive qui paraît être la conclusion non pas de notre texte mais de l’ensemble de l’évangile (v. 30-31). Comment expliquer alors le découpage choisi ? Il me semble que d’une certaine manière, l’ensemble du texte peut être pris comme une conclusion de l’évangile selon saint Jean. On peut relever qu’au v. 21 Jésus envoie ses disciples en mission : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. ». Or l’envoi en mission des disciples se retrouve à la conclusion des quatre évangiles (cf. Mt 28,19 ; Mc 16, 14-18 ; Lc 24,48). On notera aussi qu’au v. 28 la confession de Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Cette confession est importante puisqu’elle montre un disciple qui a en quelque sorte assimilé le point essentiel de l’enseignement de Jésus dans l’évangile de Jean : l’unité du Père et du Fils. En confessant Jésus comme Dieu, Thomas reconnaît l’unité du Père et du fils. L’ensemble de notre texte présente donc les caractéristiques d’une conclusion de l’évangile puisqu’il montre l’appropriation par les disciples du moins par l’un d’entre eux de l’enseignement de Jésus
La section narrative quant à elle peut être découpée en trois scènes prenant pour critère les personnages qui apparaissent. Une première partie met en scène d’une part Jésus, d’autre part le groupe des disciples dont la composition n’est pas précisée (v. 19-23). La seconde partie met en scène le groupe des disciples et un personnage absent lors de la première scène, Thomas (v. 24-25). Enfin la troisième scène regroupe l’ensemble des personnages, Thomas, le Groupe des disciples et Jésus (v. 26-29). On peut relever dans la troisième des reprises d’éléments empruntés aux deux premières scènes.Les mentions des portes verrouillées, de la venue de Jésus et de sa présence au milieu des disciples ainsi que sa parole « la paix soit avec vous » sont repris de la première scène. S’adressant à Thomas Jésus reprend les propos que celui-ci avait tenus aux autres disciples dans la deuxième scène. Ces reprises assurent l’unité de l’ensemble de la section narrative. Examinons maintenant plus en détail chacune des quatre scènes narratives et la conclusion discursive de l’évangile.
Méditation du lundi : Apparition de Jésus
Cette première partie de la section narrative de notre évangile est la seule qui ait un parallèle dans un autre évangile en l’occurrence celui de saint Luc.
Même s’ils présent de nombreuses différences les deux récits comportent de remarquables points communs. Tout d’abord la structure générale est la même : ils comprennent tous les deux d’une part un récit d’une manifestation de Jésus aux disciples (Jn 20,19-20// Lc 24,36-43) et d’autre part un envoi en mission de ses mêmes disciples par Jésus (Jn 20,21-23// Lc 24,44-49). Ce sont les deux récits d’apparition qui présentent le plus de points communs. Dans ces deux récits Jésus est « présent au milieu des disciples », littéralement en grec dans les deux textes « se tient debout au milieu d’eux », les salue par la formule « La paix soit avec vous », leur montre ses mains et une autre partie de son corps (le côté selon saint Jean, les pieds selon saint Luc) et cette apparition provoque la joie des disciples. Ces nombreux points communs suggèrent que les deux évangélistes s’inspirent d’une tradition commune. Parmi les différences on peut relever que le récit de saint Jean ignore totalement le motif du doute des apôtres très présents dans le récit selon saint Luc. Mais cette absence pourrait s’expliquer par le fait que saint Jean a en quelque sorte réservée le motif du doute au seul personnage de Thomas. Si l’on compare l’ensemble de notre évangile au récit selon saint Luc on retrouve bien le motif du doute à travers la figure de Thomas et, dans les deux cas, l’ordre donné par Jésus de le toucher.
Examinons maintenant les deux éléments de cette première partie d’abord la manifestation de Jésus aux disciples ensuite l’envoi en mission.
L’apparition de Jésus proprement dite est décrite au v. 19-20 ; elle est d’abord située dans le temps « le premier jour de la semaine ». Et dans l’espace « alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par la crainte des Juifs. ».
La précision temporelle « le premier jour de la semaine » renvoie au premier verset du chapitre 20 qui débute par la même expression « le premier jour de la semaine ». Dans les quatre évangiles la visite des femmes aux tombeau est située le matin du « premier jour de la semaine ». Jean est le seul évangéliste à reprendre l’expression « premier jour de la semaine » pour situer l’apparition de Jésus aux disciples. Par là il souligne l’unité de ce « premier jour de la semaine », premier jour d’une création nouvelle où Jésus se manifeste à Marie-Madeleine puis à ses disciples.
La précision concernant le lieu est surprenante. Saint Jean ne nous dit pas où se trouvent les disciples mais seulement que les portes de l’endroit sont verrouillées. Saint Jean précise le motif de la fermeture des portes : « la peur des Juifs. » Cette expression « peur des Juifs » se rencontre à trois autres reprises dans l’évangile en Jn 7,11 où la foule n’ose pas parler ouvertement de Jésus « par peur des Juifs » ; en Jn 9,22 où les parents de l’aveugle de naissance refusent de se prononcer sur la cause de la guérison de leur fils « parce qu’ils avaient peur des Juifs » et enfin en Jn 19,38 à propos de Joseph d’Arimathie « qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs. ». La « peur » ou la crainte des Juifs » est explicitée ainsi en Jn 9,22 : « En effet ceux-ci [les Juifs] s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ. » La « peur des Juifs » empêche de confesser publiquement le Christ. Cela suggère que les disciples sont réunis au nom du Christ et que c’est pour cela que les portes sont fermées.Jésus vient et se tient au milieu des disciples.La venue de Jésus alors que les portes sont closes a beaucoup intrigué les commentateurs qui ont essayé d’y voir un indice pour comprendre la nature du corps de Jésus ressuscité à la fois matériel puisque Thomas peut le toucher et semblant échapper aux lois de la physique puisqu’il entre alors que les portes sont verrouillées. Je ne suis pas que de telles spéculations aient vraiment fait partie des préoccupations de saint Jean. L’entrée de Jésus « portes verrouillées » nous paraît plus simplement reproduire, de manière inversée si l’on peut dire la résurrection. En ressuscitant Jésus en effet a quitté un espace clos celui du tombeau. Sa capacité à entrer dans un espace clos atteste en quelque sorte sa condition de ressuscité. On peut relever, que de manière paradoxale, c’est Jésus qui est mort mais ressuscité qui vient dans l’espace clos où se trouve les disciples, qui se comporte en quelque sorte comme un vivant alors que les disciples bien vivants mais paralysés par la peur sont comme des morts qui ne quittent pas le lieu clos où ils se trouvent. Ce texte a bien sûr une résonnance particulière après le temps de confinement que nous avons vécu. L’expérience du confinement a quelque chose d’un ensevelissement vivant. Et Jésus apparaît comme celui qui vient nous rejoindre dans cette condition particulière.
La manifestation de Jésus aux disciples est décrite par l’emploi d’un verbe « venir » (en grec erchomai) et d’une expression « se tenir au milieu » (histemi eis to meson). Or cette expression et ce verbe se trouvent dans la présentation que fait Jean le Baptiste de celui qu’il annonce en Jn 1,26-27 : « Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas, c’est lui qui vient derrière moi ». Comme l’avait annoncé Jean le Baptiste Jésus est celui qui vient et se tient au milieu. On peut remarquer que le verbe « se tenir » (histemi) rendu dans la traduction liturgique par simple verbe « être » signifie littéralement « être debout ». Il me semble que ce sens précis devrait être préféré dans le cas présent car la caractéristique de Jésus est qu’il s’est relevé (anistemi) qu’il est de nouveau debout après avoir été mort.
Jésus s’adresse aux disciples en leur disant « la paix soit avec vous » Cette formule eirènè humin peut être considéré comme la traduction de la formule hébraïque shalom aleirem qui est la manière habituelle de se saluer. On peut d’ailleurs remarquer que Jésus ressuscité s’adresse à ceux qu’ils rencontrent en les saluant tout simplement soit par la formule « La paix soit avec vous » (Jn 20,19 ; Lc 24,36) soit par la formule « Réjouissez-vous » (Mt 28,9). D’un autre côté, dans son dernier discours à après le lavement des pieds, Jésus avait à deux reprises évoqué la paix en Jn 14,27 tout d’abord : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé » et, en conclusion du discours en Jn 16,33 : « Je vous ai parlé ainsi, afin qu’en moi vous ayez la paix. Dans le monde vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » Jésus s’est donc présenté dans son dernier discours comme la source de la paix véritable, le seul capable les peurs et las angoisses inhérentes à la condition du disciple dans le monde. Dans notre texte, il confirme les propos de son dernier discours en apportant la paix aux disciples enfermés dans leur peur.
Les propos de Jésus sont accompagnés d’un geste : il montre aux disciples ses mains et son côté. On peut relever que le geste décrit par saint Jean est un peu différent de celui rapporté par saint Luc qui parle des mains et des pieds la mention du côté renvoie en effet au coup de lance donné par le soldat en Jn 19,34 : « mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau » un élément qui n’est mentionné que dans l’évangile selon saint Jean.
La réaction des disciples est la joie ce qui accomplit là encore une parole de Jésus prononcé lors de son dernier discours après le lavement des pieds en Jn 16,20-22 :
Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamentez, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cour se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera.
L’intérêt de ce passage, est qu’il permet de proposer une autre interprétation du « confinement » des disciples dans la pièce aux portes fermées. L’expérience de la mort est de la résurrection de Jésus y est en effet implicitement comparée à une naissance. Or le ventre de la mère est bien le premier espace clos dans lequel se trouve chaque homme avant sa naissance.Le temps avant la naissance est en quelque sorte l’expérience primordiale du confinement.Dès lors la venue de Jésus apparaît comme le signe de la délivrance de la possibilité de sortir de cet espace clos pour naître au monde. De ce point de vue, il est significatif que la manifestation de Jésus à ses disciples soit suivie d’un envoi en mission.
Méditation du mardi : envoi en mission et don de l’esprit
La deuxième parole de Jésus est introduite par la reprise de la formule « La paix soit avec vous. » Jésus établit un parallèle entre son propre envoi par le Père et l’envoi des disciples par lui-même. La traduction liturgique emploie à deux reprises le même verbe « envoyer » en français alors qu’en grec deux verbes différents sont employés apostellô pour désigner l’envoi de Jésus par le Père et pempô pour désigner l’envoi des disciples par Jésus. Ces deux termes sont l’un et l’autre très courants dans l’évangile selon saint Jean et employés principalement par Jésus lui-même pour définir sa mission. Pourtant à y regarder de près on peut discerner une nuance dans l’usage de ces deux termes. On peut en effet remarquer que le verbe pempô est souvent employé au participe actif pour désigne le Père « comme celui qui envoie » (Jn 1,13 ; 4,34 ; 5,23.24.30.37 ; 6,38.39.44 ; 7,16.18.28.33 ; 8,16.18.26.29 ; 9,4 ; 12, 44,45,49 ; 13,20 ; 15,21 ; 16,5) alors que le verbe apostellô lorsqu’il est employé, beaucoup plus rarement au participe, l’est au passif pour désigner « celui qui est envoyé » (Jn 1,24 ; 3,28). En d’autres termes, le verbe pempô met l’accent sur celui qui qui envoie et le verbe apostellô sur celui qui est envoyé. Dans notre texte Jésus met donc l’accent sur lui-même à la fois comme « envoyé du Père » et comme celui qui envoie les disciples. On pourrait traduire : « Comme je suis l’envoyé du Père, c’est moi aussi qui vous envoie ». Jésus occupe donc une place centrale, indispensable, c’est lui qui permet d’établir la relation entre le Père et les disciples. Comme il l’a affirmé lors de son dernier entretien avec ses disciples après le lavement des pieds : « Moi, je suis la vérité le Chemin et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. » Dans la perspective de saint Jean, la mission des disciples apparaît comme un prolongement de celle de Jésus lui-même ce dont rend compte l’image du plant de vigne employée par Jésus lors de son dernier entretien. Reprenant la comparaison développée dans le psaume 79 d’Israël comme un plant de vigne qui étend ses serments jusqu’à la mer, Jésus se présente comme étant lui-même le vrai plant de vigne dont les disciples sont les sarments. Dans la vision johannique de la mission, le disciple doit rester organiquement attaché à celui qui l’envoyé comme Jésus est resté étroitement attaché à son Père.
Envoyant ses disciples en mission Jésus leur donne le pouvoir de remettre et de maintenir les péchés. D’une manière surprenante l’expression « remettre les péchés » ne figure qu’ici dans l’évangile de saint Jean. Le quatrième évangile ignore la scène décrite dans les évangiles synoptiques où Jésus s’adresse à un paralytique apporté devant lui sur un brancard en lui disant « Tes péchés sont pardonnés » puis, devant les murmures de scribes et des pharisiens, guérit le paralytique pour montrer que « le Fils de l’homme a reçu le pouvoir sur la terre de remettre les péchés » (Mt 9, 1-9 ; Mc 2,1-12 ; Lc 5,17-25). Toutefois dans la première lettre de Saint Jean l’apôtre précise que c’est au nom de Jésus que les péchés sont remis. La faculté accordée aux disciples de remettre ou de maintenir les péchés se situent donc bien dans le prolongement de ce qu’avait manifesté Jésus au cours de son existence terrestre. Si l’expression « remettre les péchés » ne pose pas de difficulté puisque les évangiles montrent Jésus remettant les péchés, l’expression « maintenir les péché » peut paraître plus surprenante. Il faut, me semble-t-il identifier eux dont les péchés sont maintenus comme ceux qui refusent de se reconnaître pécheurs comme le suggère la la réponse de Jésus aux pharisiens qui conclut le récit de la guérison de l’aveugle de naissance en Jn 9,41 : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péchés. : mais di moment que vous dites : “Nous voyons !”, votrepéché demeure. » La première lettre de Saint jean suggère la même interprétation « si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous égarons-nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous. » (1 Jn 1,8) Pour l’évangéliste Jean, la mission des apôtres envoyé par le Fils n’est rien d’autre que le prolongement de l’œuvre accomplie par le Fils envoyé par le Père.
Jésus souffle sur ses disciples avant de leur dire « Recevez l’Esprit Saint. » La venue de l’Esprit Saint avait déjà été annoncée par Jean le Baptiste au début de l’évangile selon saint Jean en Jn 1, 23 lorsqu’il avait désigné celui qui viendrait après lui comme « celui qui baptise dans l’Esprit saint. ». Elle avait été surtout promise par Jésus lors de son dernier entretien avec ses disciples après le lavement des pieds en Jn 14,26 « mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » Si l’expression « Esprit Saint » n’apparaît qu’une seule fois en ce dernier entretien, le même Esprit y est qualifié à trois reprises « d’esprit de vérité » (Jn 14,17 ; 15,26 ; 16,13) et quatre fois de « Défenseur » (parakletos) en Jn 14,16.27, 15,26 ; 16,7. L’envoi de cet Esprit Saint est attribué à l’action conjointe du Père et du Fils décrite de deux manières différentes :: « que mon Père enverra en mon nom » en Jn,14,26 et « « que moi, je vous enverrai d’auprès du Père » en Jn 15,26.la venue de cet Esprit Saint n’est possible qu’après la mort et la glorification comme le signale l’évangéliste dans un commentaire qu’il donne d’une parole prononcée par Jésus lors de la fête des Tentes en Jn 7,39 : « en effet , il ne pouvait y avoir l’Esprit puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié » et comme Jésus le déclare à ses disciples lors de son dernier entretien avec eux : « il vaut mieux que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas le Défenseur ne viendra pas à vous ». Revenant d’auprès de son Père pour se manifester auprès de ses disciples, au terme de jour un de la semaine qui est celui de sa glorification, Jésus leur apporte le don promis de l’Esprit Saint.
Il manifeste concrètement ce don en leur soufflant dessus. Le verbe grec traduit par « souffler dessus » (emphusaô) est riche d’harmoniques vétérotestamentaires. C’est d’en premier lieu le verbe employé au chapitre 2 de la Genèse pour désigner l’action de Dieu donnant au premier homme son souffle de vie « il insuffla dans ses narines le souffle de vie » (Gn 2,7) mais ce verbe est aussi employé -du moins dans la traduction grecques qui diffère ici du texte hébreu- dans le récit de la récit de la résurrection du fils de le veuve de Sarepta par le prophète Élie en 1 R 17,21 « et il souffla trois fois sur le jeune enfant » etau livre d’Ézékiel, dans la vision des ossements desséchés où le Seigneur demande au prophète d’invoquer l’Esprit pour qu’il « souffle sur ces morts » (Ez 37,9). Ce verbe est donc employé pour décrire le don du souffle de vie à la fois dans le second récit de la création et dans deux récits de résurrection. Il nous invite à interpréter ce don de l’Esprit Saint aux apôtres à la fois comme un nouvelle Création et comme une résurrection.
Méditation du mercredi : Thomas
La deuxième scène du récit est marquée par l’introduction d’un personnage absent de la première scène, Thomas. Celui-ci est déjà apparu à deux reprises dans l’évangile selon saint Jean : d’abord en Jn 11,16, dans le récit de la résurrection de Lazare, lorsque apprenant la décision de Jésus de se rendre en Judée, Thomas avait déclaré aux autres disciples « Allons-y, nous aussi pour mourir avec lui » et ensuite en Jn 14,5, lorsque, au cours de l’entretien de Jésus avec ses disciples après le lavement des pieds, il avait posé la question suivante « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
De ces ceux interventions précédentes de Thomas, la première nous paraît la plus caractéristique. Dans une certaine mesure, elle a une dimension prophétique puisque c’est après la résurrection de Lazare que le Conseil suprême se réunira pour décider la mort de Jésus (Jn 11,46-55). Comme l’avait prévu Thomas le voyage lui sera donc fatal mais, contrairement çà ce qu’il avait dit, les disciples ne sont pas morts avec lui puisqu’au moment de son arrestation, Jésus, se présente spontanément à ceux qui viennent l’arrêter et demande qu’on laisse partir les disciples : « Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. » (Jn 18,8) ; Cette première intervention de Thomas suggère aussi que l’apôtre considère la mort de Jésus comme la fin naturelle et définitive de son aventure. Le destin des apôtres est de mourir avec Jésus. On aurait pu penser que la résurrection de Lazare à laquelle il a assisté aurait changé son état d’esprit. Il n’en est rien. Son refus de croire les disciples s’inscrit dans la continuité de sa première intervention. Pour lui, la mort de Jésus est définitive, comme l’était dans son esprit celle de Lazare et il ne peut admettre que Jésus soit vivant après être mort. D’ailleurs, si l’on y prête bien attention, et d’une manière qui peut paraître paradoxale, Thomas ne demande pas une preuve que Jésus est bien vivant, mais bien des preuves qu’il est bien mort. Les marque des clous dans lesquelles il veut mettre les doigts, la plaie du côté dans laquelle il veut mettre la main sont des signes du supplice de Jésus, de sa mort violente sur la croix. Thomas ne pense pas qu’une vie soit possible après cette mort, que la Vie soit possible après la mort.
Toutefois, il est un peu facile de faire porter sur le seul Thomas la seule responsabilité de son incrédulité. L’annonce des autres disciples a peut-être aussi sa part de responsabilité. On est en tout cas surpris qu’elle se limite à une annonce de ce qu’ils ont vu : « Nous avons vu le Seigneur ». Ils ne font apparemment pas mention à Thomas de ce qu’ils ont entendu des paroles que Jésus leur a dites : la parole d’envoie en mission, le don de l’Esprit Saint, le pouvoir de remettre les péchés qui leur a été confié. Tout cela paraît aux yeux du lecteur de l’évangile selon saint Jean plus important que le simple fait de voir Jésus : et pourtant les disciples n’en disent mot à leur compagnon. C’est comme si la vision de Jésus vivant les avait tellement éblouis qu’ils avaient oublié de l’écouter…
Méditation du jeudi : Mon Seigneur et mon Dieu
La troisième scène du récit présent un début symétrique à la première : huit jours apprès, c’est-à-dire de nouveau le jour un de la semaine, les disciples se retrouvent dans un lieu qui n’est toujours pas précisé mais dont les portes sont encore fermées. Le lecteur peut être surpris de ce que leur envoi en mission par Jésus et le don de l’Esprit Saint qu’il leur a fait ne semblent rien avoir changé pour les disciples qui paraissent toujours en être au même point. La seule différence est que Thomas est avec eux.
Comme la première fois Jésus vient et se tient debout au milieu d’eux et les salue par la formule « La paix soit avec vous ! ». Puis Jésus s’adresse à Thomas en reprenant les paroles que celui-ci avait dites aux autres disciples. Il lui donne l’ordre de mettre son doigt dans les marques des clous, la main dans sa plaie. C’est alors que Thomas confesse : « Mon Seigneur et mon Dieu. » Qu’est-ce qui provoque cette confession de Thomas ? Doit-on supposer bien que le texte ne le dise pas que Thomas a effectivement touché les marques des clous et la plaie et que c’est ce contact avec la chair ressuscité de Jésus qui l’amène a confessé sa foi ? C’est cette lecture qui est souvent privilégiée.Elle tend à interpréter la confession de foi de Thomas comme fondée sur le constat de la réalité de la résurrection de la chair. Cette lecture naturaliste a été privilégiée au Moyen Âge mais elle se trouve quelque peu en porte-à-faux par rapport à la rationalité scientifique contemporaine.Une autre lecture est toutefois possible puisque le texte ne dit pas que Thomas a effectivement touché Jésus. Il se pourrait que ce soit la simple parole de Jésus qui provoque sa confession. En effet, les propos de Jésus montre que celui-ci, sans avoir assisté à la conversation entre Thomas les disciples sait ce qu’a dit Thomas. La parole de Jésus prouve en quelque sorte son omniscience, sa connaissance de l’homme pour reprendre les termes de saint Jean. Or, dans l’évangile selon saint Jean, c’est souvent cette connaissance que Jésus a de leur vie, qui pousse à ses interlocuteurs à le reconnaître comme le Messie, le Fils de Dieu. Ainsi quand Jésus dit à Nathanaël qu’il l’a vu sous le figuier, Nathanaël s’exclame : « Rabbi c’est toi le fils de Dieu !C’est toi le roi d’Israël » (Jn1,49) De même la Samaritaine, lorsque Jésus lui dit « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari ; des maris, tu en as eu cinq et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari » s’exclame « Seigneur ! je vois que tu es un prophète ! » (Jn 4,18-19) avant de dire à ses compatriotes « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? »Il me paraît donc probable que ce qui provoque la confession de foi de Thomas n’est pas son contact physique avec la chair du ressuscité mais sa stupéfaction de voir connu de Jésus les propos qu’il a tenu aux autres disciples. Il me semble que cela explique mieux la confession de Thomas Mon Seigneur et mon Dieu. Comment Thomas, qui est un Juif, pourrait-il reconnaître la divinité de Jésus en touchant une chair humaine alors justement que le refus de l’incarnation de Dieu dans la chair est la raison de rejet de Jésus par les Juifs ? En revanche, le constatque Jésus connaît toute chose amène naturellement à postuler l’étroitesse de sa relation avec Dieu comme le disaient déjà les disciples en Jn 16,30 : « Maintenant, nous savons que tu sais toutes choses, et tu n’as pas besoin qu’on t’interroge : voilà pourquoi, nous croyons que tu es sorti de Dieu. » Découvrant que Jésus connaît l’intime de son cœur, Thomas va plus loin encore il reconnaît que Jésus est son Dieu.
Cette lecture permet aussi de bien comprendre la formule de Jésus : « Heureux ceux qui croient sans avons vu. ». Cette béatitude doit être aussi mise en relation avec la définition de la foi dans la Lettre aux Hébreux (He 11, 1) comme « un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. » a foi véritable précède la vision et n’est pas son résultat. Lorsqu’on voit quelque chose on est dans la constatation et plus vraiment dans la foi.Le véritable fondement de la foi n’est pas la vision de Jésus ressuscité mais la parole de Jésus ressuscité transmise par es témoins. L’histoire de Thomas marque en quelque sorte un échec initial de ce mode de transmission de la foi. Ne lui parlant de ce qu’ils ont vu et non pas de ce qu’ils ont entendu, des paroles que leur a dites Jésus, les disciples n’ont pas réussi à faire croire Thomas car aucune description aussi précise soit-elle en remplace la vision. Aussi a-t-il fallu que Jésus apparaisse à Thomas et surtout se fasse entendre de lui. le véritable enjeu de la transmission de la foi n’est pas la description naturaliste des apparitions de Jésus ressuscité mais la transmission des paroles de Jésus, des paroles adressée à chacun de nous en son plus intime et qui dévoilent les secrets de nos cœurs.
Méditation du vendredi La première conclusion de l’évangile.
Les deux derniers versets de notre texte forme comme une première conclusion de l’évangile selon saint Jean. Cet ouvrage présente en effet la particularité de comporter deux conclusions. ; la seconde se trouvant à la fin du chapitre 21 v. 24 et 25. Ces deux conclusions présentent un point commun : elles affirment toutes deux que l’évangile selon saint Jean ne rapporte pas la totalité des signes réalisés par Jésus. La première conclusion explique le critère selon lequel a été fait le choix des signes « mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom » alors que la seconde conclusion explique pourquoi il a été procédé à une sélection, parce qu’il était impossible de rapporter tous les signes rapportées par Jésus : « s’il fallait écrire chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres qu’on écrirait. » Ces deux conclusions ne nous paraissent donc pas se répéter mais plutôt interagir entre elles. L’existence de ces deux conclusions n’implique donc pas à notre avis que le chapitre 2 de l’évangile selon saint Jean soit un rajout postérieur. On peut d’ailleurs relever dans le cinquième et dernier chapitre de la première lettre de saint Jean, un verset qui rappelle la première conclusion de l’évangile en donnant à la rédaction de la lettre la même justification qu’à celle de l’évangile, 1 Jn 5,13 « Je vous écrit cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui mettez votre foi dans le nom du Fils de Dieu » Or ce verset n’est pas , comme on pourrait s’y attendre à la conclusion de la première lettre de saint Jean mais est suivi par un paragraphe sur la prière et par la « vraie » conclusion de la lettre sous forme d’un résumé de celle-ci. Il semble donc qu’annoncer la conclusion de l’œuvre par une vraie-fausse conclusion en indiquant l’objet soit un procédé littéraire cher à saint Jean.
La première conclusion indique deux motifs pour la rédaction de l’évangile le premier est « pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu ». On peut dire qu’il ne s’agit pas là d’un objectif propre à saint Jean et que tous les évangiles ont ce même but, « faire croire que Jésus est leCchrist et le Fils de Dieu » ; Cela est vrai de l’évangile selon saint Marc, considéré aujourd’hui comme le plus ancien est qui est introduit par la formule « Commencement de l’évangile de Jésus Christ, fils de Dieu » ; on peut même trouvé que la formule Jésus est « le Christ, le fils de Dieu » paraît en retrait par rapport à la confession plus radicale de Thomas « Mon Seigneur et mon Dieu ». Plus que les autres évangélistes saint Jean souligne l’unité profonde du Père et du Fils au point que pour lui dire que le Jésus est fils de Dieu équivaut à dire qu’il est Dieu.. Ce second motif exposé pour la rédaction de l’évangile « pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » est plus spécifique à saint Jean. Ce motif est aussi celui qui justifie la rédaction de la Première lettre de saint Jean. Le motif de la foi au Fils conduisant à al vie éternelle est récurrent dans l’évangile selon saint Jean. On le trouve exposé pour la première fois lors de la rencontre entre Jésus et nicodème, en Jn3,15, repris en conclusion du chapitre (Jn 3,36) Il apparaît à deux reprises dans le discours sur le pain de vie (Jn 6,40.47) et enfin dans les propos tenus par Jésus à Marthe avant la résurrection de Lazare (Jn 11,25-26). L’importance de ce motif dans l’œuvre johannique tient en ce que pour Jean Dieu est la vie, la zôè en grec donnée aux hommes par l’intermédiaire de son Fils.
L’importance de ce motif de la vie permet aussi de comprendre, me semble-t-il, la corrélation entre les deux conclusions. La première signale que le contenu du livre a été écrit pour donner la vie mais al seconde signale l’incapacité du livre à contenir toute al vie surabondante de Jésus. En quelque sorte l’évangile ne peut contenir la vie de Jésus en son entier mais ce qu’il contient suffit à donner la vie.
Méditation du samedi Pour une lecture qui donne la vie.
Le texte que nous avons étudié a servi notamment à partir de l’époque médiévale de fondement à des spéculations sur la nature de la chair de Jésus ressuscité assez immatérielle pour entrer dans un lieu dont les portes sont closes et assez matérielle pour que Thomas puisse la toucher. Cette lecture a le but tout à fait respectable de démontrer la réalité de la résurrection. Dans cette perspective l’entrée de Jésus dans une pièce portes closes et le contact de Thomas avec le corps de Jésus deviennent des preuves de la résurrection de Jésus. Toutefois, ces preuves paraissent bien fragiles aux yeux de la réalité scientifiques modernes. De plus elles risquent d’induire une perception de la résurrection matérialiste de la résurrection. Jésus n’est pas un passe-muraille comme le héros de la nouvelle de Marcel Aymé. D’ailleurs il n’st pas sûr que saint Jean en notant des éléments ait voulu fournir des preuves de la résurrection tel que nous l’entendons. La meilleure preuve si je puis dire en est que le récit ne dit pas explicitement que Thomas ait effectivement touché Jésus comme celui-ci l’invite à la faire. Il nous semble qu’une autre lecture de ces signes est possible non pas en les regardant comme des preuves objectives de la résurrection mais en s’intéressant à l’effet qu’ils produisent sur ceux qui les perçoivent et sur le lecteur du texte de l’évangile.
Prenons pour commencer le signe des portes closes du lieu où se trouve les disciples doivent être mises en rapport avec la pierre roulée laissant le tombeau ouvert. Alors que le tombeau, domaine de la mort, qui devrait être définitivement clos se retrouve ouvert indiquant le triomphe de la vie sur la mort, les disciples pourtant apparemment bien vivants se trouvent enfermés derrière des portes verrouillées, paralysés par la peur comme des morts. Et ce paradoxe apparaît encore plus clairement lorsque c’est Jésus le ressuscité qui a connu la mort, qui porte encore sur lui les marques de son supplice, qui insuffle, le souffle de vie, l’Esprit Saint à ses disciples qui pourtant n’ont pas connu la mort.
Venons-en main tenant au personnage de Thomas. Il nous semble que son incrédulité procède de sa fascination pour la morte, de la pulsion de mort qui l’anime. Déjà en Jn 11,16, lorsque Jésus avait annoncé son projet de revenir en Judée après la mort de Lazare, il avait parlé d’accompagner Jésus pour mourir avec lui. Lorsque les disciples lui disent qu’ils ont vu Jésus, il ne demande pas des preuves que Jésus est vivant mais il veut toucher ses plaies c’est-à-dire avoir la preuve qu’il est bien mort. On peut penser que cette fascination pour la mort de Jésus traduit aussi un sentiment de culpabilité face à son incapacité de réaliser son projet de « mourir avec Jésus. » Pas plus que Pierre, qui, au cours du dernier repas avait affirmé qu’il était prêt à mourir par Jésus et qui par trois fois l’a renié, Thomas n’a été capable de suivre son seigneur jusqu’au bout. Mais Jésus ressuscité ne reproche pas à ses disciples de ne pas être mort avec lui, il les invite au contraire vivre pleinement de sa vie de ressuscité. À Thomas qui veut toucher Ses plaies, les traces de sa mort, Jésus parle comme le maître qui connaît tous les secrets de son cœur. Il se révèle come le vivant et appelle Thomas à connaître sa fascination morbide enversla mort pour vivre lui aussi de la Vie du ressuscité.
Lorsqu’il présente thomas, saint Jean précise « Thomas surnommé Didyme ce qui veut dire Jumeau ». Thomas est bien notre Jumeau, qui partage les pulsions de mort qui sont parfois les nôtres.
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